Dans les instructions dont Aloysius Bertrand accompagne son Gaspard de la nuit, le rôle constitutif de la mise en page dans la perception générique est assumé avec une netteté qui fait — rétroactivement — de ce paratexte un moment fondateur: «Règle générale. Soit la prose se dispose en poème, par la mise en page et (ou) par des procédés de structuration textuelle qui produisent une sorte de périodicité ou en suggèrent l'analogie. Il faut tenir compte enfin d'un troisième facteur, indissociable de la désignation et de la conceptualisation du genre. Essai sur quelques états récents du vers français, Ramsay, 1988. Les «Instructions à M. le Metteur en pages», destinées par Bertrand à son éditeur, ont été publiées en 1925 dans l'édition de Bernard Guégan (Payot). Pour le corpus des poèmes en prose, réuni en tête du volume et principalement composé de textes anciens, il pose une équivalence: Anecdotes ou poèmes. Le poème en prose, depuis le romantisme, est un des lieux privilégiés de cette contestation. La prose en poésie apparaît durant le mouvement littéraire romantique à la fin du 18e siècle. — Et vainement ai-je feuilleté pendant trois jours et trois nuits, aux blafardes lueurs de la lampe, les livres hermétiques de Raymond Lulle. Le poème en prose est un genre littéraire poétique qui n’utilise pas les techniques de rimes, de versification et de disposition du texte traditionnel de la poésie, mais utilise des figures de style poétiques, en particulier les tropes (métaphores, métonymies), les associations inhabituelles de mots (oxymore), les effets sonores et rythmiques (allitération, assonance, harmonie imitative, anaphore, chiasme) ou les ruptures de construction (parataxe, anacoluthe). Je me bornerai à souligner quelques points relatifs à leur stratégie générique. La poésie est définie comme appareil visible, forme de la page et non forme du vers; c'est déjà la pensée du Coup de dés, et c'est aussi le cadre qui permettra l'émergence d'unités non métriques, vers libre ou «verset», au sein du poème en prose. Elle modifie très profondément le statut de ces textes et leur environnement générique, les faisant passer du voisinage d'Alphonse Karr ou Paul de Kock à celui de Leconte de Lisle. D'autre part le recueil produit par lui-même une qualification générique globale, surtout lorsque le rassemblement se fait sous un titre rhématique. Le compte rendu d'Henri Ghéon dans la N.R.F. Apprendre, réciter de la prose. Lorsque le ressort s'est détendu, certains rouages quelque temps continuent à fonctionner, de plus en plus ralentis, puis toute la machinerie s'arrête. Rejoignez le site littéraire « De plume en plume » pour lire et commenter ses écrits. C'est le cas de Baudelaire: des textes que leur structure propre situe assez loin, voire dans un autre cadre générique (comme Une mort héroïque, qui est un tale à la manière de Poe) se trouvent rangés sous un modèle typique, et la lecture tend à les rapprocher; le même phénomène joue a contrario dans le cas de morceaux restés hors du cadre, en particulier dans les journaux intimes. Les vers les plus employés sont l’alexandrin*, l’octosyllabe* et le décasyllabe*. Pour Mallarmé c'est une notion tôt constituée, qu'il fera correspondre à une strate ancienne de son œuvre (celle de La Pipe ou de Pauvre enfant pâle) et s'efforcera de réorganiser sur d'autres bases (le «poème critique»). Peu d’instants après, il reparut, tenant dans ses bras un fort gros chat, et le regardant, comme on dit, dans le blanc des yeux, il affirma sans hésiter : « Il n’est pas encore tout à fait midi. [xxiv] Mallarmé, Œuvres complètes, éd. Autour de 1800, pendant que se constitue le romantisme, les aspirations des écrivains tendent de plus en plus vers l'absolu. de la Pléiade, 1961, p. 230. Une brève histoire du poème en prose Objet d'étude : Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours Problématique générale : Qu'est-ce qui distingue la poésie de la prose ? Multitude de figures de style (comparaison, métaphore, etc.) [xxiii] Etienne-Alain Hubert, «Reverdy et Max Jacob devant Rimbaud: la querelle du poème en prose», Circonstances de la poésie, Klincksieck, 2000, p. 255-276. Ils s'imposent fortement comme unités, étant à la fois articulés et clos, configurés comme un mythos avec exposition, péripétie, dénouement. Poème en prose → Oxymore car le poème est associé au sublime alors que la prose est associé au trivial. Mais c'est un choix significatif: il installe l'œuvre à un point neutre, où tous les genres et les formes existent comme compossibles sans qu'aucun soit revendiqué. Dans un poème en prose, la musicalité repose non sur la métrique, sur la rime ou le découpage en vers, mais sur l'organisation syntaxique et les effets de rythme qui en découlent. cit., p. 1330, 674. Elle avance deux critères: le style, qui «donne la sensation du fermé», et la «situation», reconnaissable «au petit choc qu'on en reçoit, à la marge qui l'entoure, à l'atmosphère spéciale où [l'œuvre] se meut». © Tous les textes et documents disponibles sur ce site, sont, sauf mention contraire, protégés par une licence Creative Common. Mais une part du texte, comme le montrent les documents de genèse, procède d'un travail sur la prose narrative, qui opère non par composition de micro-éléments articulés mais par déconstruction et si l'on peut dire blanchiment de séquences de récit. Le poème en prose s'écrit sur le fond d'une mémoire littéraire, dont on peut énumérer les composantes, même si la liste n'est pas close; j'en retiendrai quatre: la description ou ekphrasis (la première pièce du recueil de Bertrand, Harlem); la fable, et plus précisément l'anecdote moralisante (Baudelaire, Un plaisant); l'épigramme (Le galant tireur); la méditation (A une heure du matin). La formule est exactement symétrique du titre de Baudelaire, Petits poëmes en prose. Ces jongleurs finissent souvent par se sédentariser auprès d'un seigneur. Mais il reprend sur de tout autres bases le partage entre prose et poésie. Les textes de Reverdy sont très brefs, souvent proches du format des Nouvelles en trois lignes de Fénéon: ils se présentent sur la page comme un bloc compact entouré de blanc. Le premier fait entrer la bibliothèque dans la «devanture» avec une jubilationqui chez le second se convertit en angoisse. Le poème en prose est parfois divisé en para­graphes. Dans le partage que j'ai évoqué, Fargue incline ainsi du côté de Baudelaire. Non, rien, si ce n’est, avec le sifflement de la cornue étincelante, les rires moqueurs d’une salamandre qui se fait un jeu de troubler mes méditations. Avant les Petits Poèmes en prose de Baudelaire, elle aura même donné lieu à de multiples pratiques lyriques originales et plus intimistes (songes, méditations, … La formule suggère une littérarisation directe, sans médiation générique, et (en tant qu'elle porte sur le contenu) plutôt mythique que stylistique. Ils ne font nullement saillie: aucune semiosis particulière, aucune hétérogénéité ne les signalent. Ainsi défini par Baudelaire, le poème en prose apparaît comme un mode d’expression privilégié capable de traduire ce qui relève du rêve et de l’inconscient. En un mot, il contribue à mettre le poème en prose au cœur de la «crise de vers», ce que ni Baudelaire ni Huysmans n'avaient envisagé. Wilde Oscar. Il sera le poète officiel du roi sous le règne de Charles IX. Cette évolution correspond à un changement de statut de la forme, qui entraîne une réorganisation des postures énonciatives, de l'éthos du genre et du rapport au lecteur. [ii] Je me permets de renvoyer à ces ouvrages: Michel Murat, Le Vers libre, à paraître en 2008; Le Coup de dés de Mallarmé: un recommencement de la poésie, Belin, 2005; L'Art de Rimbaud, José Corti, 2002. CARACTERISTIQUES DU … Ce déplacement d'une portée considérable prépare le «recommencement» global du vers, du poème et du livre dans le Coup de dés. La seconde est la thèse de «défiguration du langage poétique» soutenue par Barbara Johnson[vi]. Mallarmé parle de «forme» parce qu'il envisage les dispositifs typographiques, intervalles et «cassures du texte», nécessaires à un nouveau «traitement de l'écrit», c'est-à-dire à une réorganisation des enchaînements logiques et argumentatifs. Les jongleurs sont des amuseurs itinérants qui distraient de grandes assemblées en racontant des histoires en vers. On lit par exemple dans La Revue blanche au moment où paraît Divagations que «le poème en prose présente ce caractère général que la prose, matière première, y est soumise à des exigences analogues aux poétiques[xvii]»: la formule convient assez bien à la production courante des revues littéraires, du Mercure de France à Vers et prose, et jusqu'aux débuts de la N.R.F.[xviii]. Ici elles semblent de la grosseur d'un grain de blé, là d'un pois, ailleurs presque d'une bille. L'autre perspective est celle que j'ai déjà évoquée à propos de Baudelaire: c'est la constitution de la prose littéraire en objet esthétique autonome, indépendant du sujet traité, susceptible par conséquent de s'approprier en les transformant par le style toutes sortes de formes préexistantes, anecdote, étude de cas, description d'œuvre d'art ou notice encyclopédique (comme chez Ponge et Michaux). Reverdy publie en 1915 son premier recueil sous le titre Poèmes en prose. Les effets seront longs à s'en faire sentir, mais on peut remarquer que le choix de Mallarmé exerce une influence directe sur ceux de Valéry, chez qui le pli critique se referme sur le poème en prose, pratiqué par intermittence dans les Cahiers mais jamais assumé ni publié comme forme poétique[xvi]. Cette histoire n'a rien de linéaire; elle est faite d'écarts et de recommencements, et à chaque étape décisive un scénario du même type semble se reproduire. Mais rien encore ! Non dépourvue de pertinence, cette thèse extrapole les propriétés du genre à partir d'un corpus manifestement trop étroit, puisqu'il se limite aux «doublets» de Baudelaire; elle est loin de fournir un modèle applicable ne fût-ce qu'à l'ensemble du recueil (pensons à Une mort héroïque ou aux Bons chiens, qu'il est impossible de saisir sous cet angle). Jusqu’au XIXe siècle, la poésie classique se diffé­rencie nettement de la prose : tout texte poétique est versifié et comporte des rimes. Cette histoire n'a rien de linéaire; elle est faite d'écarts et de recommencements, et à chaque étape décisive un scénario du même type … La «cassure» du paragraphe devient le «pli» critique. Ce qui chez Fargue procède des Illuminations, c'est la construction du poème par séquences d'images qui tiennent lieu de logique narrative ou descriptive. Les Poëmes de Fargue paraissent en 1912. Or, ce nouveau genre de poème en prose qui apparaît au XIXème siècle va fusionner les deux genres. 2. On considère généralement que le créateur de ce style poétique est Aloysius Bertrand qui en fit lutilisation dans Gaspard de la nuit un recueil de poèmes. La structure n'est pas très différente quand il y a transposition d'un texte poétique: c'est le cas des nombreuses traductions ou pseudo-traductions de chansons, ballades ou psaumes, mais aussi des «doublets» de Baudelaire, où l'on peut voir un exemple remarquable d'auto-traduction. N'hésitez plus, venez publier un texte ! La ponctuation, les répétitions et l’organisation syntaxique concourent à la création d’un rythme original qui donne au poème en prose une musi­calité et une harmonie particulières. [vii] Joris-Karl Huysmans, A rebours (1884), Gallimard, Folio, 1977, p. 320. C’est Baudelaire qui définit le mieux ce genre nouveau : « Une prose poétique, musicale, sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience. - page 1 - classées par les plus récents - Short Édition Chez A. Bertrand dans « Ondine », ces para­graphes sont séparés par des blancs et par un signe récurrent, une étoile. Il associe étroitement le travail de restructuration du vers métrique et l'invention de formes non métriques, faisant apparaître l'émergence du vers libre comme une résultante de ce rapport, forme intermédiaire ou espace de transition. Dans Divagations — comme déjà dans Pages — il intègre ces poèmes dans un volume de prose, à côté des essais critiques (option différente de celle de Baudelaire et inverse de celle des Illuminations). Selon la surface entière d'un petit toit de zinc que le regard surplombe elle ruisselle en nappe très mince, moirée à cause de courants très variés par les imperceptibles ondulations et bosses de la couverture. ». Certains poètes du XXe siècle, Claudel, Char, Ponge, Michaux, adoptent ce genre. Les troubadours composent des poèmes lyriques et s'accompagnent d'un instrument de musique. Surtout il fait jouer de plusieurs manières la relation constitutive entre hypo-texte et poème. Le gamin du céleste Empire hésita d’abord ; puis, se ravisant, il répondit : « Je vais vous le dire ». Au centre c'est un fin rideau (ou réseau) discontinu, une chute implacable mais relativement lente de gouttes probablement assez légères, une précipitation sempiternelle sans vigueur, une fraction intense du météore pur. L'allégorie baudelairienne, par un retournement singulier, devient l'interprétant de la vie courante; l'esprit sort de la bibliothèque. La promotion esthétique du poème en prose est parallèle à celle de la prose narrative chez Flaubert et les Goncourt; on en constate la convergence à de multiples reprises dans les années 1880, chez Huysmans ou dans les Moralités légendaires de Laforgue (sans doute l'héritier le plus proche de l'esprit de Baudelaire). Je me borne par conséquent à l'indiquer, et je conclus sur le genre, puis sur l'idée du genre. Mais le geste même de Breton nous obligerait à sortir du genre, qui est l'objet de ce colloque. La démarche de Reverdy est conceptuelle et non stylistique. Combinant deux genres spécifiques - prose et poésie - le poème en prose emprunte des carac­téristiques à l’un et à l’autre et les fait coexister. Or, la notion de " poésie en prose " apparaît dès les débuts de l'âge classique, où elle concerne aussi bien les domaines tragique et épique que celui du grand lyrisme officiel. —Blanchir comme si le texte était de la poésie[x]». [xix] Un important dossier se trouve à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet. On peut douter que le poème en prose existe, attitude qui serait difficile à envisager pour l'épopée ou la satire. «Poème» doit se comprendre à la manière de Mallarmé: ce qui justifie l'usage du mot n'est pas une propriété de l'objet mais une opération dans laquelle «il y a recommencement des matériaux ainsi que des conditions de la pensée[xxiv]», et par conséquent rupture avec la discursivité ordinaire qui soutient une conception du texte comme mimesis descriptive ou expressive. La première vise à l'élaboration d'une poésie non versifiée, susceptible de fournir une alternative au poème en vers dans ses attributions génériques, topiques et stylistiques traditionnelles(pensons par exemple aux Natchez). Ces poèmes en prose que nous appelons Romans... dit l’Abbé DU BOS. Soit le texte se présente comme prose, avec un découpage régi par des enchaînements logiques (et non par un principe de parallélisme ou de contraste): la poétisation procède en quelque sorte de l'intérieur, selon un principe poétique de concentration des effets que cautionne une symbolique de l'expressivité (l'identification du je au sujet existentiel étant une base indispensable du protocole de lecture). J'ai entendu exposer cette thèse révisionniste qui consiste à soutenir que la catégorie ne s'est constituée que dans les années 1960, au moment où il a fallu intégrer au canon des œuvres comme celles de Michaux ou de Ponge, qui ne rompaient pas seulement avec l'apparence du vers mais avec l'idée que l'on avait pu se faire de la poésie[iii]. Suzanne Bernard, dans sa thèse Le Poème en prose de Baudelaire jusqu'à nos jours (Nizet, 1959) propose les critères suivants : « Il s'agit d'un texte en prose bref, formant une unité et caractérisé par sa « gratuité », c'est-à-dire ne visant pas à raconter une histoire ni à transmettre une information, mais recherchant un effet poétique ». La disparition du tiret, en mettant à distance l'expression toute faite (et son usage journalistique), invite à une ressaisie conceptuelle plus abstraite. D’autres sont plus longs. Texte ; Poème en prose ; Prose poétique → Précisez en haut de votre page. Un second type de compétence concerne la manière dont le genre s'inscrit dans les pratiques littéraires. La structure, rendue visible par des paragraphes, est également soulignée par des reprises de termes (répétitions, anaphores) ou par des articulations logiques ou chronologiques. B. Marchal, Gallimard, Bibl. La compétence qui lui correspond consiste donc d'abord en une mémoire générique relativement diversifiée, qui conditionne non la perception de l'hypo-texte en tant que tel mais l'activation de ses ressources topiques et de ses schèmes herméneutiques. Mais au même moment l'histoire recommence. C'est dans cette perspective que s'inscrivent les transpositions et (pseudo-)traductions si nombreuses de la Chanson d'Atala au Livre de jade de Judith Gautier. 3 Si l’évolution des rapports entre prose et poésie remonte donc loin dans l’histoire littéraire, pour saisir les relations actuelles entre les deux termes, ou mieux les relations qui ont laissé une trace dans la conception moderne des deux formes, il suffira de nous tourner vers Charles Baudelaire et … Mais avec le Romantisme apparaît une exigence de liberté, qui donne naissance à un genre tout à fait nouveau. Le poème en prose est né au milieu du 19 e siècle en France du désir de certains de s’affranchir des règles contraignantes de la poésie rimée classique (Aloysius Bertrand, Baudelaire, Lautréamont, Rimbaud [xi] Charles Baudelaire, Œuvres complètes, Gallimard, Bibl. Ce mouvement esthétique européen fait une place toute particulière au lyrismeet à l’effusion du moi avec un goût marqué pour la mélancolie : les poètes vont donc exprimer leur mal de vivre et leurs souffrances affectives en méditant sur la mort, sur Dieu, sur l’amour et la fuite du temps, s… L’expression « poème en prose » est paradoxale puisqu’elle réunit deux termes qui s’opposent : la prose, écriture libre, et la poésie, qui repose sur les contraintes du vers, des rythmes et des rimes. C'est alors qu'apparaissent les formules tautologiques qui seront souvent reprises par la suite. Bertrand. Comme les histoires, les poèmes narratifs présentent un conflit, s'entendent jusqu'au point culminant et finissent par une résolution. Les derniers textes écrits par Baudelaire, comme Mademoiselle Bistouri ou Portraits de maîtresses, inclinent nettement dans ce sens. Ces poèmes nouveaux influencent rapidement Baudelaire (Le Spleen de Paris), Rim­baud (Illuminations), Lautréamont (Les Chants de Maldoror), Mallarmé. Comme une sorte de Janus, le poème en prose s'inscrit dans deux perspectives génériques distinctes, contemporaines mais non synchrones, compatibles entre elles mais nettement divergentes. Ils relèvent souvent d'une sorte de fantastique intime ou onirique, mais pénétré de réflexion morale (Marche forcée, L'envers et l'endroit, Honteux à voir): de petites fables métaphysiques, peut-on dire par analogie avec les peintures de Chirico. Il me semble possible de proposer pour la phase de constitution du genre (en gros: 1830-1880) un modèle pragmatique plus complexe (quoique schématisant les données disponibles, et écrasant quelque peu les processus de genèse). cit., p. 312. Baudelaire est un poète de la modernité . La première est traditionnelle et constitue une sorte de discours d'accompagnement et de légitimation; elle est tautologique, présupposant la définition du poème par l'unité d'effet (le plus souvent sans référence à Poe) et conférant aux procédés de poétisation de la prose une valeur de compensation ou de substitution; on en trouve une formulation détaillée dans la thèse de Suzanne Bernard. Dans le poème de Ponge, la mie du pain est métaphorisée en un "lâche et froid sous-sol". Fargue n'entend pas s'approprier le genre du poème en prose. ». Voir Mallarmé, Œuvres complètes, éd. De même, dira bientôt Reverdy en complétant la lignée, Baudelaire avait continué Bertrand en «réalisant un genre différent[xxii]». Cette unité est soulignée par la présence d’un titre qui suggère un contenu ou une orien­tation d’écriture (récit, description, évocation), interpellation même, comme dans le texte de R. Char « Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud ». Le vers libre et le Coup de dés ont donné lieu à deux ouvrages; je reprends ici dans une perspective plus large la question du poème en prose, que j'avais abordée à propos de Rimbaud[ii]. Il coïncide avec le cœur du processus, dont il accélère les effets et les rend lisibles; son cours, me semble-t-il, s'arrête avec lui. Au contraire il en reconfigure le cadre, comme s'il voulait en préserver le caractère problématique ou empêcher une cristallisation. « Aube » commence (J’ai embrassé l’aube d’été) et finit (Au réveil il était midi) par un octosyllabe. cit., t.II, p. 200. Il poursuit le projet d'évocation des «villes énormes», et nombre de poèmes s'éclairent par le dialogue avec un intertexte baudelairien. cit, p. 690). Et il ressort d'un rapide survol historique une certitude : le poème en prose est issu de ce pan de la prose romantique qui prolonge sans solution de continuité le XVIIIe siècle. Le rassemblement sous un mot que sa forme même inscrit dans une lignée de poésie romantique (à la suite des Méditations et des Contemplations, il semble former le point culminant d'une série) s'oppose nettement au partage de l'œuvre baudelairienne en deux livres. La pluie, dans la cour où je la regarde tomber, descend à des allures très diverses. Informations sur La Jeune Parque : et poèmes en prose (9782070317929) de Paul Valéry et sur le rayon Littérature, La Procure. Prenons l'exemple de Bertrand: dans Gaspard de la Nuit le projet de «poésie non versifiée» est nettement dominant; il définit la perspective générique d'ensemble et détermine son inscription dans une histoire globale des formes. Le romantisme nourrit toute la première moitié du XIX siècle et pour la poésie plus précisément les années 1820-1850 : par convention, des Méditations poétiques de Lamartine, en 1820, aux Contemplations de Victor Hugo en 1856. Dans les publications en revue, effectives ou projetées, Mallarmé groupe ses poèmes en prose sous le titre de«pages»: «pages oubliées» (I, 1330), «pages déchirées[xiii]» (I, 674), Pages tout court pour le recueil de 1891 chez Deman. cit., t. II, 2002, p. 277. Exemple de poésie en vers : Tristesse, sonnet d'Alfred de Musset J'ai perdu ma force et ma vie… [xvi] A une exception près, celle d'Alphabet. De même dans le Cornet à dés, le genre est un contenant qui permet de réunir les hypo-genres (et de les agiter comme les dés dans le cornet); c'est un cadre qui leur confère une relative homogénéité, en particulier en neutralisant les différences d'échelle (le Roman feuilleton ramené à dix lignes); c'est aussi une «marge spirituelle» (c'est-à-dire abstraite, indépendante des procédés de mise en page: c'est le genre qui fait marge) qui «situe» les matériaux sollicités et transforme leur substance en spectacle. Le reclassement littéraire de ce qui était au départ une sorte d'argot de la Bohème, «une langue de déclassés qui a conservé sa vocation primitive: n'avoir de sens complet que pour des initiés se trouvant dans un monde hostile[ix]», joue un rôle essentiel dans le projet de Baudelaire. Ou bien fourbit-elle son armure, c’est alors la cendre du fourneau qui souffle sur les pages de mon formulaire et sur l’encre de mon écritoire. Dans « Ondine », on observe une construction dans laquelle chaque élément cité prend appui sur l’élément précédent : Chaque flot est un ondin qui nage dans le courant, chaque cou­rant est un sentier qui serpente vers mon palais, et mon palais.... Dans « Le mimosa » de Francis Ponge, la pre­mière phrase conduit de la présentation, Le voici..., au terme le mimosa, qui est le dernier du paragraphe. Je ne m'étendrai pas ici sur leur querelle, ni sur le rôle qu'y joue la référence à Rimbaud, défendu par le premier contre le second malgré des réserves explicites; à ces questions Etienne-Alain Hubert a consacré un article définitif[xxiii]. Le titre s'est imposé peut-être par défaut, se substituant à Nocturnes qui insistait trop sur l'analogie musicale et sur la filiation avec Bertrand. Mais cette saturation même (le calembour, le méli-mélo des vieux thèmes) menace de se retourner contre le genre et de le réduire à un support ad libitum, sans autre propriété que le brio de son auteur, un peu comme avaient été les Guêpes d'Alphonse Karr: d'où le redressement qu'impose la préface. Trois noms doivent ici être avancés: Fargue, Reverdy, Max Jacob. La dernière section du volume s'intitule Grands faits divers. Autant que d'une approche théorique, il s'agit pour moi d'une interrogation sur ce que Certeau appelle «l'écriture de l'histoire». En effet, pour s’en tenir à la tradition écrite et sans tenir compte des formes mixtes relevant du poème en prose, ... Une autre façon de s’orienter dans le massif des formes mixtes mêlant prose et vers est de prendre en compte l’histoire littéraire. Precédés de l'histoire de la Ballade de la geole de Reading par le traducteur. Poème en prose, voir Poème. Pas plus que la poésie, le poème en prose n’a de thème réservé. Mais il faut souligner que cette réorientation est fortement accentuée par le choix éditorial de La Vogue (qu'il soit imputable à Kahn ou plus probablement à Fénéon) de rassembler les vers de 1872 et les poèmes en prose sous le titre unique d'Illuminations. Tout d'abord, un poème se compose de vers (un par ligne). En forçant le trait, elles se ramènent à deux. Max Jacob poursuit par une critique de Rimbaud, dont le «désordre» (antinomique à l'exigence de «style») ne peut être un modèle, et propose une série de distinctions génériques: La difficulté du texte vient, me semble-t-il, de ce qu'il ne parvient pas à choisir entre deux conceptions. Expr. Reverdy la conjure en écrivant L'esprit sort: Mais une telle conclusion est trop belle, trop allégorique. L'hypothèse de base consiste à définir le poème en prose comme ré-élaboration stylistique d'un ensemble de genres ou formes discursives préexistants: «osmazôme de la littérature» comme disait Huysmans[vii], c'est-à-dire à la fois concentration (voire sublimation), et homogénéisation par un passage au second degré. The Ballad of Reading Goal. Les « Petits poèmes en prose » de Baudelaire. On suppose que la poésie n'est plus dépendante de la versification. Méthode synthétique : en fait la réponse à cette question pourrait constituer une ou deux caractéristiques supplémentaires pour définir les poèmes en prose. Venons-en à l’histoire du poème en prose. [xviii] Même si Gide s'en défend, comme le montre un propos de 1910: «ce n'est plus le moment d'écrire des poèmes en prose» (rapporté par Jacques Rivière dans son compte rendu de Miracles d'Alain-Fournier pour la N.R.F., 1924). «Prose» comme chez Fargue, c'est-à-dire «nette et solide et sage»: pas de procédés rythmiques de poétisation, ni de disposition signifiante des unités, car ce sont des données propres à la poésie versifiée; pas d'images autonomes, détachables du texte, puisque les images font corps avec le récit. Lorsqu’elles sont brèves, elles sont parfois marte­lées comme des vers : Pourtant on peut l’ouvrir, c’est un travail grossier constituent des vers de 6 pieds (« L’huître »). Texte 1 : Aloysius Bertrand, "L'alchimiste". Baudelaire est un poète nourri de romantisme mais malgré tout tourné vers le classicisme entre le Parnasse et le symbolisme. Navigation : > Bibliothèque > Tous les Textes > Textes, Poèmes en prose > Complets. A peu de distance des murs de droite et de gauche tombent avec plus de bruit des gouttes plus lourdes, individuées. Sa vie amou… [xxviii] Ibid., respectivement p. 85, 205, 140, 138, 93, 45. [xii] Il s'agit de L'Orgue de Barbarie et de La Tête qui parurent en juillet 1864 dans La Semaine de Cusset et de Vichy. N’est-ce pas, madame, que voici un madrigal vraiment méritoire, et aussi emphatique que vous-même ? Rien encore ! Bien au contraire, souligne Larbaud, «dans ces Poèmes la prose —nette et solide et sage […] —la prose a été imposée à l'auteur[xx]». De Baudelaire à Mallarmé, en revanche, la filiation est indiscutable: les textes sont presque contemporains (1864-65), et les deux premiers parus portent une dédicace «à Charles Baudelaire[xii]». Il s'agit certainement de la forme la plus difficile de la poésie, mais aussi la plus reconnue. Les deux traits fondamentaux du poème en prose, à savoir son caractère «second» (le recyclage de formes antérieures) et la divergence de visée entre poésie non versifiée et prose littéraire, permettent de comprendre certains aspects déconcertants de l'histoire du genre.